Encore une journée banale au compteur. Anselm s'habituait presque à cette routine. Il n'avait jamais été aussi tranquille depuis des années. Si sa couverture n'avait pas été découverte au bout d'un an, c'était qu'elle ne le serait probablement jamais. Et puis, à quoi bon chercher un fantôme ? Sérieusement, la CIA devait avoir beaucoup mieux à faire. Au final, il avait en quelque sorte sa retraite. L'indemnité plaisante en moins. Et le plaisir de retrouver sa famille d’annihilé aussi. Au lieu de ça, il retrouvait chaque jour les archives poussiéreuses de la police. Il finissait par trouver tous ces dossiers et scellés presque réconfortants. Il était clair que cela était révélateur d'un mode de vie assez malsain. Trouver des archives réconfortantes et chaleureuse... Enfin. Il fit son travail et se sélectionna quelques dossiers qu'il copia et emporta à l'heure de quitter les lieux. Quoique de mieux que feuilleter de vieux dossiers non résolus en mangeant chinois le soir ? Franchement, c'était pas un programme de soirée carrément enviable ? Bon ok, il fallait peut-être avoir un passif étrange pour apprécier ce genre de projet, mais il s'y habituait à cette bizarrerie solitaire. Au moins en s'occupant l'esprit, il évitait de sombrer dans la nostalgie.

Il quitta son bureau, mais ne passa pas directement par le parking du bâtiment. Il voulait s'acheter à manger avant de récupérer sa moto. Il connaissait un bon restaurant avec de bons menus à emporter.  Le patron était tellement habitué à le voir qu'il avait commencé à lui donner des cours de mandarin pendant les minutes d'attente... C'était plutôt amusant. Après donc avoir appris comment dire qu'il était heureux de rencontrer quelqu'un en chinois, et qu'il eut récupéré son paquet contenant plat de crevettes épicé, riz cantonné, et gâteau de bonne fortune, il retourna au commissariat. Mais il fut interrompu dans son trajet. Est-ce qu'on était sérieusement en train de braquer ce type à moins de 500 mètres du poste de police ? Cette ville était carrément en train de devenir dingue.

Anselm aurait probablement dû faire demi-tour, mais il ne pouvait s'empêcher d'avoir un brin d'éthique. Et puis, il sentait déjà l'adrénaline du combat arriver dans ses veines. Une fois qu'on a goûté à ce genre de sensation, on a du mal à s'en passer. Il avait du mal à se passer de violence. Il avait besoin de violence. Autant que ce soit pour sauver hypothétiquement la vie de quelqu'un. Il avança donc silencieusement vers les deux hommes, son attention complètement dédiée à l'homme armé. Il ne lui signala sa présence qu'au dernier moment en laissant tomber bruyamment son repas. L'arme se riva sur lui, mais une fraction de seconde seulement puisqu'Anselm donna un coup localisé sur le poignet de l'agresseur. Il saisit ensuite son bras et le bloqua dans son dos. Un craquement se fit entendre, et l'homme cria. Anselm se pencha vers son oreille, profitant de ses cris.

« Tu laisses tout tomber par terre. Et c'est le moment de courir pour toi. »dit-il d'une voix glacée.

L'homme s’exécuta, ayant sûrement compris qu'il se frottait à plus balèze que lui. Il courut comme un lapin. Anselm aurait bien ri, mais point trop n'en fallait. Sa couverture n'aurait déjà jamais fait ça... Il prenait parfois des risques vraiment inconsidérés. Enfin, il y avait peu de chance que cet homme porte plainte. Il se baissa pour ramasser le butin au sol. L'iphone n'avait pas trop apprécié la chute, la montre, elle, n'avait rien. Il se tourna pour rendre le tout à l'agressé. Il haussa les sourcils. Merde, il venait de sauver ce connard ? Pourquoi n'avait-il pas fait gaffe ? Il aurait laissé le mec partir avec son butin s'il avait su.

« Désolé... Je crois que vous allez devoir changer de téléphone. Vous n'avez rien ? »finit-il par demander d'une voix inquiète et un peu essoufflé, faussement essoufflée à vrai dire.

Il fixait l'homme avec son air de pauvre chien battu qui allait si parfaitement au pauvre archiviste qui avait déjà foutu ce connard hors de son bureau. S'il avait su, il aurait bien laissé ce criminel le taper une ou deux fois avant d'intervenir... Pff. Tout ça lui avait fait perdre son repas en prime, le sac contenant les plats préparés s'étant ouvert et déversé sur le trottoir... Tout ses projets de soirée qui foutaient le camp.

Le grand brun resta devant la « victime », attendant une réaction. Il haussa un sourcil en entendant la réponse de l'avocat. Un pauvre Iphone 5. Bien sûr. Etait-il conscient que pour le mec qui l'avait en joue, un iphone, c'était de quoi vivre pendant quelques semaines ? De quoi nourrir ses gamins, par exemple. Ce comportement était assez abject. Anselm ne savait pas qui était le plus répugnant entre l'agresseur et l'agressé. Il eut un léger soupir en voyant l'homme partir vers le commissariat. Il allait porter plainte. Vraiment ? Pour un Iphone cassé ? Pff, quel crevard ce mec. Enfin, Anselm emboîta son pas, le rattrapant malgré sa marche rapide. Il fut surpris que l'homme le reconnaisse. Quoique. Vu la scène qu'il lui avait fait dans les archives, ce n'était pas si exceptionnel. Il détourna la tête faussement gêné, passant une main dans sa nuque en reprenant la marche.

« Je n'ai rien à me faire pardonner, M. Orosco. »rétorqua-t-il presque offusqué.

Il suivit l'homme. En tant que témoin, c'était mieux qu'il soit là pour donner son témoignage par avance. Il connaissait ce genre de cas. Enfin, apparemment, il n'avait assisté qu'à la fin de l'agression. Il apprit au fil de la déposition toute l'histoire. Intérieurement, il trouvait que c'était assez juste comme retour des choses. La justice divine, le karma, qu'importait le nom qu'on donnait au phénomène. Le résultat était dans tous les cas jouissif. Il resta impassible pourtant, réservé, un peu en retrait Comme l'aurait été n'importe quel archiviste. Quoique, il devait bien exister des gens de cette profession avec de l'assurance et du panache, mais les clichés viennent bien de quelque part. Il sourit timidement à l'homme à sa question.

« Bien sûr... »répondit-il en fouillant la poche intérieure de sa veste de costard. Il en sortit un vieux téléphone, un modèle antique, le tendant à l'homme. « Par contre, ce n'est pas un Iphone, vous êtes sûr de pouvoir vous en servir ? »

Il eut un sourire un brin moqueur. Cela détonnait peut-être un peu de son personnage, mais, il fallait bien que le pauvre archiviste ait un brin de consistance. Qu'il ne soit juste un mec qui se laisse perpétuellement marcher sur les pieds. Il sourit un peu à l'homme plus gentiment.

« Je peux vous ramener chez vous si vous n'avez pas peur d'un trajet en moto. J'ai un casque, je peux vous le laisser. »dit-il doucement. « Et puis, vous me devez un dîner n'est-ce pas ? J'ai sacrifié le meilleur chinois à emporter du quartier pour vos beaux yeux. »

Quitte à perdre sa soirée, autant le faire intelligemment non ? Il avait bien quelques repérages à faire dans l'appartement de cet homme. C'était faire une excursion chez l'agent du Diable. Il y avait bien un intérêt à copiner avec Orosco, le plus véreux des avocats. Il imaginait déjà l'appartement de cet homme. Gigantesque, luxueux, rangé par quelqu'un d'autre. Cet homme était aussi un cliché dans sa catégorie. Il le fixait de ses yeux bleus gris en attendant sa réponse, une main posée sur sa nuque, faussement honteux de cet élan de témérité. Qu'est-ce que ce personnage pouvait être agaçant parfois. Il aurait aimé parfois pouvoir redevenir le ripoux russe qui n'a aucun scrupule à tabasser le premier venu.

Okay... Cet homme était définitivement un connard égocentrique et prétentieux. Le sauver n'était peut-être pas une bonne idée. Il regrettait déjà. Encore plus d'avoir été sympathique. Dans quoi était-il en train de se fourrer ? Franchement... Il haussa un sourcil en entendant l'homme. Le meilleur chinois de la ville ? Ce n'était pas parce qu'il payait quatre fois plus que ce serait meilleur. Ça, c'était une sacrée connerie. Le genre qu'on a créé uniquement pour que les riches puissent dépenser plus pour rien. Il acquiesça néanmoins, il ne pouvait pas dire non maintenant. La soirée allait être longue si ça continuait comme ça. Pourquoi avait-il provoqué cette invitation ? Il se le demandait de plus en plus.

Il descendit avec l'homme. Il ne lança pas vraiment de conversation. Ça, c'était le point positif avec cette nouvelle identité, il n'était pas obligé de se farcir les discussions chiantes. La timidité et la réserve peuvent avoir du bon. Pas beaucoup, mais bon, faut bien s’accommoder de ce qu'on a, ou de ce qu'on prétend avoir en l’occurrence. Ils arrivèrent rapidement à la moto, un belle Ducati Monster qui n'avait rien à envier question puissance à la voiture que l'avocat s'était fait faucher. Il légua donc son casque à l'homme, ayant assez confiance en ses capacités de conduite pour ne pas craindre un accident. Et puis, il devait avouer que conduire sans casque, c'était rudement agréable. Et puis dans la ville de Gotham, ne pas porter son casque, ce n'était rien face aux autres délits commis chaque jour. En revanche, il ne donna pas son blouson à l'homme, étant devant, c'était lui qui prenait le vent de plein fouet, hors de question d'être frigorifié pour ce con.

Il ne fallut que quelques minutes pour qu'ils arrivent devant l'immeuble de l'homme. Vu le quartier, Anselm ne risquait rien en laissant sa moto devant le bâtiment, l'attachant avec un simple anti-vol, laissant son casque et son cuir dans la petite soute de l'engin. Il suivit ensuite l'homme dans ce qui était un putain d'immeuble de riches. Le genre d'immeuble dans lesquels il avait eu l'occasion de résider au cours de ses missions d'infiltration. Il n'en gardait pas vraiment de bons souvenirs de ce genre d'endroit. Enfin, il y avait quelques souvenirs plaisants, mais si peu. Il salua l'hôtesse avec réserve et un sourire poli. Il détonnait clairement dans tout ce luxe. Il passa les portes de l'ascenseur, regardant ses pieds, pensif. Il releva la tête aux affirmations de l'homme.

« Je survivrai si l'ascenseur ne tombe pas en panne. »répondit-il avec un sourire amusé. Il était évident que dans ce genre d'endroit, les ascenseurs ne tombent jamais en panne. On prévient les problèmes, on accorde aux riches du temps. Alors que dans son immeuble, plus personne ne s'attendait à ce que l'ascenseur fonctionne à nouveau. « Souvent, pas vraiment. Même à Gotham, on n'assiste pas à des vols armés tous les jours. Enfin, cela ne m'arrive pas tous les jours. Et pour ce qui est de savoir me battre, j'ai été réserviste quelques temps dans l'armée, alors, on m'a appris quelques trucs. Faut croire qu'avec l'adrénaline, c'est revenu. »

L'ascenseur s'ouvrit, Anselm descendit sans attendre, pas mécontent de quitter un endroit aussi confiné. Il suivit l'homme jusqu'à son appartement. Il ne fut pas surpris par le luxe qu'empestait les lieux. En sachant la misère de Gotham, cet endroit, c'était assez gerbant. Les poings d'Anselm se serrèrent légèrement, une fraction de secondes. Putain, il détestait cette injustice sociale. Il déboutonna sa veste de costard.

« Vous habitez seul ici ? »demanda-t-il en sachant pertinemment la réponse. « Vous avez un certain sens de la démesure. Et ça confirme que j'ai bien fait de ne pas vous donner d'informations. Même un très bon avocat ne pourrait pas honnêtement se permettre de telles folies. »Il marqua une pause, ayant un léger soupir. « Cela ne vous empêche jamais de dormir de défendre les pires enflures que la terre ait porté ? »

Il se tourna vers l'homme, le fixant intensément. Il savait déjà les réponses. Enfin, il les supposait. On ne pouvait pas dire que cet homme puait la culpabilité ou le sens de la justice... Parfois, Anselm perdait vraiment foi en l'humanité, et pas seulement en regardant des dossiers parlant de serial killers.

Okay... Un rire nerveux passa les lèvres d'Anselm. Il n'arriva pas à se retenir en entendant l'homme parler de justice. Il se sentait comment dire révolté ? Dégoûté par ses propos ? Ok, il était sans doute mal placé pour être aussi dur dans son jugement, après tout, il n'avait pas eu beaucoup de regrets quand il avait dû tuer plus que de raisons pour « les bonnes raisons », et ces raisons, il savait maintenant qu'elles étaient biaisées et injustes, être employé par le gouvernement ne justifie pas tout. Il l'avait sûrement compris trop tard. Se découvrir une conscience sur le tard, c'est étrangement paradoxal. Il calma néanmoins rapidement son hilarité. Non pas par respect, mais parce qu'Anselm n'était un homme de provocation. Il détourna le regard faisant semblant de reprendre le contrôle de ses émotions. S'il s'était écouté... Peut-être qu'il aurait pris ce couteau sur la table, et l'aurait placé sous sa gorge et lui aurait demandé de se défendre maintenant de ses crimes. Peut-être que c'était ce que l'homme derrière les masques voulait faire. Il ne le savait plus au final ce qu'il voulait. Alors, il s'assit face à l'homme.

Il sourit à la femme de ménage quand elle revint. Il se sentait plus proche de ce femme que de son employeur. « Je préfère me passer d'apéritif, je n'ai vraiment l'habitude de boire, je tiens trop mal l'alcool pour me le permettre. Une bière, ce sera parfait du coup. »répondit-il doucement avec un rire un peu gêné. En réalité, il tenait bien l'alcool, il avait bu beaucoup de vodka à une époque, mais il préférait éviter à présent. Tout comme fumer, il évitait. Sa vie était plus saine, plus maîtrisée. Presque normale par moment. Il rêvait parfois de n'être que l'archiviste. Il regarda à nouveau l'homme quand la femme repartit.

« Donc la conception de justice que vous défendez vient avec les héritages je suppose. Vous avez de la chance, probablement. Mais je crois que votre vie me ferait plus déprimer que la mienne. Alors qu'objectivement, je devrai plutôt vous envier. Enfin... Ce n'est pas parce que vous m'offrez à manger que je serai plus sympathique au commissariat, vous savez. » Il eut un petit sourire. « En fait, je serai même plutôt vexé si vous pensez qu'un repas peut suffire à me corrompre. Je suis pas si désespéré. »

Ses doigts jouaient avec les baguettes sur le côté de son assiette. Il n'était pas à sa place. En fait, il ne comprenait toujours pas pourquoi l'homme l'avait fait venir. Il ne devait pas être le genre à s'encombrer en remerciements. Alors pourquoi cette proposition ? Il aurait pu juste lui donner un billet de 50 dollars avec le mépris qui devait lui être commun. Il se mordilla la lèvre, finissant par river à nouveau son regard dans celui de l'homme. Il n'avait pas remis ses lunettes depuis qu'il avait quitté le commissariat.

« Pourquoi vous m'avez proposé ce repas ? Je veux dire, on a jamais été en très bons termes, et je suis pas certain que cette agression fasse naître entre nous une grande amitié... J'ai un peu de mal à comprendre ce que quelqu'un dans votre genre fait à inviter le pauvre archiviste méprisable. »finit-il par demander d'un ton calme.

Bon apparemment, ce n'était pas pour la corruption qu'on l'avait invité. Ça devenait de moins en moins logique, mais il était clair que l'avocat n'était pas vraiment une menace. Enfin pas une menace ailleurs que dans un tribunal. Mais bon, si jamais Anselm se retrouvait côté accusé, il savait qui appeler, sans doute qu'il pouvait même se payer ses services, l'avantages des bons placements et de son peu de scrupule. Bref. Seulement, ils étaient dans une salle à manger, et les plats qu'on venait d'ammener n'avait rien de menaçant. Alors quoi ? Il l'avait fait venir pour ses beaux yeux ? Franchement, ça ne se tenait pas vraiment. La pure gentillesse ne collait pas non plus au personnage. Il y avait forcément de l'intérêt quelque part. Il suffisait juste de trouver où. L'invité remercia poliment la femme. Il prit la bière presque sans hésiter. Il but directement à la bouteille, par habitude. Peut-être aussi parce que ça l'amusait de passer pour le chien errant qui ramène des puces dans le bel appartement. Ce fut alors à son tour d'avoir un rire, plus un ricanement même.

« Choisissez bien la prostituée, y'a des gens bien renseignés dans le domaine aussi, ça passera pas forcément incognito. »lâcha-t-il amusé.

Il ne dirait pas que lui-même connaissait pas mal de filles. Bon, il ne profitait pas vraiment de leurs charmes, mais il les connaissait bien. Et puis, il savait les repérer ces filles en questions. Alors s'il en voyait une débarquer au commissariat pour quémander des informations, il saurait qui appeler. Pas malin de dévoiler ses plans secrets. Bien sûr, tout ceci était relativement ironique et Ans' l'avait compris, il n'était pas débile. Mais c'était amusant à imaginer tout cela. Et puis, il y eut l'autre déclaration. Il était un peu perdu dans ses pensées, en train de boire une gorgée de bière... Il frôla l'étouffement, ce qui était selon son classement l'une des morts les moins honorables et les plus stupides, et répandit de la bière sur un bon nombre de plats devant lui, et tâcha aussi ses vêtements. Il toussa un peu, se remettant de la déclaration quelque peu... surprenante de son interlocuteur. Putain, ça, il l'avait pas prévu. Il attrapa une serviette pour éponger ce qu'il l'était sur son menton, ce qui dégoulinait sur son cou, tamponnant aussi un peu ses fringues. C'était loin d'être glamour. Putain, le con. Il avait juste envie de tirer un coup avec lui ? C'était aussi simple que ça ? C'était presque décevant. Enfin non, c'était flatteur mais... Il releva son regard vers l'avocat, encore un peu incrédule.

« Vous êtes toujours aussi direct ou j'ai le droit à la version franchement raccourcie du discours ? »demanda-t-il finalement avec un sourire à demi-gêné, à demi-intrigué.

En réalité, il était carrément intrigué, même si finalement, le côté amoureux du vice collait à tous les autres aspects du personnage. Il n'osait pas reprendre sa bouteille de bière ou manger du coup. Cela lui suffisait de manquer de mourir une fois par repas, pas deux, sinon après ça devient vulgaire. Alors il se contenta de fixer l'homme.

« Et qu'est-ce qui vous fait croire que je pourrais être intéressé ? Et vous savez que même si on vient à coucher ensemble, ça marchera pas mieux que le repas, question corruption. Je suis pas non plus complètement désespéré dans le domaine... »reprit-il en simulant la gêne et la charmante naïveté timide. Il pouvait répondre à toutes les questions qu'il posait. Il avait semé les indices après tout. Il suffisait de remonter le temps pour tout justifier, mais passer pour l'idiot, c'était mieux. En plus, il était certain que ça plairait à l'avocat, ce côté ingénu. « Enfin, j'ai le droit de manger quand même, ou ça m'engage à dire oui ? » Laisser planer le doute aussi, c'était pas mal, ça ajoutait du challenge à son vis-à-vis. Il devait avouer que ça l'amusait plutôt ce jeu de dupe. Ça amusait le vrai lui, le prédateur. C'était amusant de chasser celui qui croyait être en haut de la chaîne alimentaire, quelque chose dans ce goût-là. Une chose était sûre, si cet homme le voulait, il allait devoir faire mieux qu'une déclaration trop franche, limite vulgaire. Mais il fallait avouer que pour beaucoup, homme comme femme, cela devait suffire vu la plastique de l'animal.

Anselm écouta les explications de l'homme avec un brin de suspicion. Il voulait vraiment coucher avec lui ? C'était un peu étrange cette déclaration spontanée. Non pas qu'il soit repoussant ou hideux, mais il avait pour habitude de ne rien laisser transparaître d'une possible sexualité sous cette identité là. Parce qu'il n'aimait pas se dévoiler, et que dans l'acte, il se retrouvait littéralement mis à nu, et son corps seul pouvait révéler beaucoup de choses. Ses cicatrices parlaient pour lui. Bref. C'était vraiment inattendu qu'il ait tapé dans l’œil de cet homme. Était-ce le sauvetage mal calculé qui avait fait naître cette envie chez l'avocat ? C'était probable. Le côté chevalier viril en armure blanche ou cliché de ce genre, ça peut vite asticoter une sexualité débridée. Enfin, ça restait assez étrange comme situation. Anselm n'était plus vraiment habitué à ce genre de convoitise à son égard. Il passa sa langue sur ses lèvres, mimant une certaine gêne.

« Vous avez une façon très utilitaire de concevoir la chose... Pas étonnant que certains se sentent un peu vexé et vous collent des gifles. C'est un peu rude comme comportement. »finit-il par dire avec un petit rire gêné. « Enfin... Il en faut plus pour me vexer. »

Il prit une gorgée de bière. On l'avait invité presque sans intérêt alors, autant en profiter ? Il attrapa les baguettes, et commença à piocher dans les différents plats avec curiosité. Il avait envie de voir ce que valait le « meilleur chinois » de Gotham. Les premières dégustations furent un brin décevante à son goût, mais il n'en dit rien. Cela restait carrément appréciable, mais pas si exceptionnel. Il eut un sourire amusé à ses remarques.

« C'est surtout inconvenant que vous ne donniez pas vos restes à ceux qui crèvent de faim deux kilomètres plus loin en réalité. C'est fou comme les gens riches arrivent à nier l'existence et le malheur des autres humains. Je dois avouer que vous avez là un talent fabuleux. »répondit-il non sans ironie. « Ne vous inquiétez pas pour les crevettes, j'adore ça. Ça doit faire parti des aliments que je préfère même... Mais ça n'a pas d'être votre cas. Vous êtes allergique ? Si j'en mange je risque pas de faire rater tous vos plans pour la fin de soirée ? »

Il avait demandé ça avec un sourire légèrement taquin. Il n'avait toujours pas donné sa réponse, mais si cet homme était assez malin, il saurait lire entre les lignes que la possibilité de rester plus longtemps n'était pas déclinée, loin de là. Il n'aimait pas coucher avec le premier venu, mais il n'en restait pas moins un homme : plusieurs mois d'abstinence, cela vous pousse à accepter plus facilement un moment de détente agréable et réparateur en terme psychologique et physiologique. Et puis, Anselm se doutait que cet homme ne se poserait pas trente-six mille question en le voyant nu. Ils en viendraient rapidement à des choses plus prenante qu'un bavardage mélancolique.

« A moins que ce soit un moyen détourner de me faire comprendre que quand vous faites ça, vous préférez du sexe brut sans embrassade ? »finit-il par lâcher d'un ton dubitatif en passant lentement sa langue sur ses lèvres, pour un ôter un reste de sauce piquante.

Okay, c'était plus discret et subtil comme façon de dire les choses, mais si avec ça M. Orosco ne comprenait pas que l'archiviste ne fuirait pas ses avances... Et bien, il n'était pas si doué que ça en tant qu'homme et avocat !

Le regard bleuté de l'archiviste ne cilla pas en l'écoutant. Il savait que l'homme avait raison. Quoique, il se trompait, Anselm avait été pire à sa place. Cela faisait parti d'un rôle, mais il avait presque apprécié la cruauté qu'on lui avait imposé. C'était dérangeant ce genre de chose, s'apercevoir qu'on ne vaut finalement pas mieux que ceux qu'on méprise. Alors, il ne méprisait pas vraiment l'avocat, c'était plus un constat qu'une accusation. Il sourit donc à sa réponse, un sourire rempli d'amertume. Mais la dernière remarque lui fit oublier le début, son sourire s'agrandit pour devenir un brin intéressé, peut-être légèrement pervers, mais dans ce domaine, il était loin d'égaler le rictus de son vis-à-vis.

« Faut-il que je précise maintenant que je n'ai pas ma brosse à dents sur moi ? »dit-il d'une voix pleine de sous-entendus.

Ils étaient partis pour se chercher mutuellement non ? Anselm préférait de loin jouer un peu que de jouer les vierges effarouchées jusqu'au bout. D'une part, parce qu'il n'avait rien d'une pucelle, d'autre part, parce qu'il avait malgré lui quelques instincts de prédation, et être la proie ne l'amusait que quelques minutes, après, cela devenait vite agaçant. Et puis qui pouvait savoir si l'archiviste n'était pas un pur obsédé sexuel ? Personne. On pouvait juste croire qu'il cachait bien son jeu, voilà tout.

Anselm reprit un peu plus de crevettes, parce qu'il aimait vraiment ça, sans mauvaise plaisanterie. Et elle n'était vraiment pas mauvaises. Il releva la tête à la question de l'homme. Il voulait vraiment son avis ? Il finit lentement sa bouchée, savourant ce qu'il avait en bouche comme un goûteur professionnel. Il prit cet air sérieux que peuvent prendre les grands cuisiniers en goûtant leurs créations. C'était assez comique tant ses gestes étaient exagérés, et son temps de réflexion long.

« Hmmm... Il est fort probable que ce soit fade comparé au prix que vous avez mis, mais cela reste très bon. Mais je n'irai pas changer mes habitudes. Un jour, je vous amènerai dans le restaurant chinois le plus agréable et honnête de Gotham. »déclara-t-il avec un sourire amusé.

Ok, là, c'était une proposition étrange qui sous-entendait qu'ils pouvaient se revoir, en dehors des engueulades au commissariat et de ce qu'il vivait présentement. Ça c'était carrément étrange, voire flippant. Anselm ne savait vraiment pas pourquoi il avait dit ça, c'était un réflexe poli probablement. Enfin dans tous les cas, ce n'était pas fait, et il était probable que l'un comme l'autre oublie facilement cette déclaration finalement embarrassante.  Il préféra reprendre un peu plus à manger plutôt que de s'éterniser sur cette parole en l'air qui sonnait dans sa tête comme une demande en mariage vu le contexte. Il finit par relever la tête après quelques bouchées.

« Vous avez prévu un dessert ou on passe aux choses sérieuses dès que nous sommes calés ? »demanda-t-il presque naïvement, ce qui était assez décalé par rapport au sujet, il aurait pu demander le sel ou le poivre avec cette même voix innocente.

Une fois qu'Anselm savait où il allait, il était beaucoup plus dur de le déstabiliser. En réalité, Aidrian était même carrément le genre à être blasé vu tout ce qui a pu se passer sous ses yeux, mais en général, il se forçait à avoir un peu moins vécu sous sa nouvelle identité, il se forçait à l'étonnement. Mais là, rien n'était vraiment étonnant vu le début du repas. A dire vrai, c'était même de plus en plus téléphoné, les sous-entendus devenaient de plus en plus évidents. C'était impossible de les manquer. En un sens, c'était plutôt drôle. Surtout qu'il n'aurait jamais pensé en arriver à ça avec cet homme. Jusqu'à une heure plus tôt, il s'imaginait plutôt se le taper avec les poings plutôt qu'avec une autre partie de son anatomie. Comme quoi, la vie réserve des surprises même aux pauvres archivistes. Son sourire s'agrandit à la remarque sur la compatibilité dessert et amusement entre adultes. Quelques images arrivèrent à son cerveau, et c'était difficile de trouver cela excitant ou ridicule d'imaginer cet homme couvert de chocolat et de chantilly en prenant des positions aguicheuses dignes de pin-up des années 30. Ouais, l'imagination d'Anselm était parfois trop réactive.

« C'est vrai qu'en plus le gâchis de nourriture ne vous dérangeant pas, cela rend la chose encore plausible, mais effectivement, ce serait en dehors de notre thème de soirée. »répondit-il avec un sourire amusé.

Anselm termina ce qu'il avait mis dans son assiette sans empressement, écoutant l'homme avec cet intérêt amusé et un peu incrédule qui semblait caractériser cette soirée, cette « rencontre » aussi en quelque sorte. Putain, il était en train de parler sexualité avec Orosco. En fait, cette soirée était carrément absurde. Un peu débile aussi, il fallait l'avouer. Mais cela fait du bien de ne pas trop réfléchir avant d'agir parfois non ? Clairement, là, Anselm avait lâché prise. Probablement parce qu'hors d'un tribunal, cet homme lui apparaissait inoffensif. C'était un adolescent riche et qui ne savait plus quoi faire pour choquer en approchant de la quarantaine. Peur des engagements, peur de ce qu'il ne connaît pas. Bref, inoffensif et méprisant, mais dans un lit ou sur la table du salon, on s'en fout pas mal du mépris non ?

« Vous avez raison, autant profiter de ce qui est encore frais... »dit-il avec un sourire. « Enfin, n'attendez pas trop pour la luxure, j'ai passé la quarantaine, je risque de bientôt ne plus intéresser grand monde. Vous y compris, probablement. »

Il eut un rire pour ponctuer sa deuxième phrase. Il se fichait pas mal d'avoir passé la quarantaine en réalité. Il était même content de l'avoir passée. Avoir quarante ans, ça voulait dire être encore en vie, et ce n'était pas rien pour lui. Il savait estimer le prix de sa propre vie, et faire de vieux jours, s'il n'y avait pas eu le changement d'identité lui serait apparu comme une oasis au milieu du désert, une sorte de paradis sur terre. Au final, il s'agissait plus d'un purgatoire, mais au moins, il en avait fini avec son séjour en Enfer. Il finit son assiette avec ces quelques pensées qui s'entrechoquaient dans son cerveau qui finalement ne se mettait jamais complètement en veille.

« Je suis fin prêt à satisfaire la gourmandise ! Je proposerai bien d'aller chercher le dessert, mais je suppose qu'une domestique va sortir de l'ombre telle un ninja et faire ça mieux que moi... »dit-il avec sarcasme.

Mais le plus sarcastique, ce fut qu'effectivement il avait vu juste. Alalala. Les riches. Bref. Anselm aida un minimum la femme pour débarrasser la table. Et quand les dessert vinrent, quelques étoiles scintillèrent dans ses yeux... C'était exactement pour cela qu'il ne commettait jamais l'erreur de prendre des desserts : il aimait beaucoup trop le sucre. Oui, même en étant un ancien de la CIA, on peut aimer les sucreries. Ses séjours à Paris lui avaient d'ailleurs toujours vendu du rêve à ce niveau... Il ne se jeta néanmoins pas comme un sauvage sur les divers plats, mais se prépara une assiette fort copieuse. Il baissa le regard vers son auge, et fit une moue dubitative.

« Pour éliminer tout ça, je pense que nous allons devoir faire beaucoup d'exercices. Vous êtes bien sûr de vouloir vous engager dans cette voie là ? Vous ne savez pas quelle endurance peut avoir un archiviste... »dit-il d'un ton faussement docte et sérieux avec des airs de mise en garde assez peu crédible alors qu'il commençait à manger un beignet avec délice.